Hommage à Pierre Grimblat
Gérard Mordillat et Jacques Fansten saluent la mémoire du scénariste, producteur et réalisateur disparu le 4 juin dernier.
L'hommage de Gérard Mordillat
Dans son poème " Testament ", Roger Gilbert-Leconte écrivait :
" Je viens de beaucoup plus loin
Qu'on pourrait le croire
Et les confins de la nuit les déserts de la faim
Savent seuls mon histoire "…
Pierre aussi venait " de beaucoup plus loin qu'on pourrait le croire "…
Il avait chez lui un tableau qui m'a toujours fasciné et je pense qui a fasciné tous ceux qui ont eu l'occasion de l'admirer. On y voit un adulte tenant par la main un enfant à l'orée d'une forêt. La toile – d'un artiste polonais je crois – est peinte de telle sorte qu'on ne puisse dire à coup sûr si les personnages vont vers la lumière du pré qui s'étend devant eux ou au contraire s'ils s'enfoncent dans l'obscurité des arbres. Pour moi Pierre est tout entier dans ce tableau, un funambule toujours sur le fil entre la lumière et l'ombre sans que l'on sache réellement s'il y entre ou s'il en sort. La lumière, c'est bien sûr celle de ses films, de ceux qu'il a réalisés, de ceux qu'il a produits, cette lumière du cinéma qui porte si bien son nom et qui l'illuminait tout entier. Son ombre, je devrais dire ses ombres, c'est au secret de ses poèmes, cette angoisse, ce doute, cette mélancolie qui l'habitaient et qu'il avait l'élégance et la grâce de cacher sous un sourire, une pirouette, un bon mot.
Sentant sa fin prochaine, Pierre comme le laboureur de La Fontaine, voulait s'assurer que je serai de ceux qui parleraient le moment venu, ce que je fais aujourd'hui pour être fidèle à son souhait. Il y ajoutait une injonction très particulière : " Surtout, fais les rire ! ". Je crains de ne pas avoir vraiment les ressources comiques pour répondre à cet ordre amical, sinon en évoquant les mânes de Léon Zitrone annonçant – avec sa fameuse tête " de circonstance " – la mort de Bourvil. Je cite : " André Bourvil est mort, il nous fera toujours rire. "
Et c'est cette phrase qui nous faisait tant rire que je vous offre de la part de Pierre en m'excusant de n'avoir qu'elle à sortir de mon sac à malices.
Pierre aimait la musique : Gershwin, tous les airs d'opérette, la variété… Il savait par cœur des tirades entières des tragédies classiques apprises quand il était enfant. Mais Pierre n'aimait pas la musique pour la musique, il l'aimait pour son langage, pour cette voix secrète qui ne parle qu'à certains. Il n'aimait pas non plus l'opérette pour l'opérette ni la tragédie pour la tragédie, il aimait leurs mots, cette sonorité magique du mot juste qu'il soit chanté ou dit. Pierre aimait les mots plus que tout. C'était un poète. Il a réalisé ses films en poète, j'ai envie de dire il les a écrits en poète ; il a produit des films en poète et invité tous ceux qui travaillaient avec lui à le suivre sur la voie risquée où il faut que le mètre soit juste et la scansion parfaite ; il a fait des émissions radiophoniques, écrit des scénarios, des livres mais c'était toujours le poète qui prenait le pas sur l'homme de radio, le cinéaste, le producteur, l'écrivain. Sans doute, parce que comme le disait TS Eliot : " Pas de vers libres si on veut faire du bon boulot. "
Et Pierre a fait du bon boulot.
Je prends le pari que passé le silence qui suit toujours une disparition, ses images et ses mots rendront justice à son œuvre. Car ce funambule, ce prestidigitateur, cet illusionniste était un artiste de variétés et il faut laisser le temps œuvrer pour que le grand tableau de sa vie apparaisse enfin dans sa vérité.
Le dernier recueil de poèmes de Pierre s'intitule Le mot de passe. Les variations sont infinies :
- Pierre nous passe le mot
- Pierre se passe de mots
- Le pot masse, contrepèterie oblige
- Le mot passe et gagne sans impair
- Le mot est passé par Pierre
- Pierre est passé d'un mot
Words, words, words…
Le mot reste et restera toujours.
Pierre était mon ami.Salut l'artiste !
Gérard Mordillat
L'hommage de Jacques Fansten
Je me souviens d'une séance de lecture, chez Hamster, rue Jean Mermoz.
J'avais remis la première version du scénario et nous étions réunis pour en discuter. Il y avait là toute l'équipe, Nicolas, Jacques, Gaspard et, évidemment, Pierre.
Tous avaient lu… Sauf Pierre. Ça m'avait un peu agacé mais, bon, c'était le producteur !
Chacun y allait de ses commentaires, de ses critiques et de ses suggestions.
Je prenais des notes, Pierre écoutait.
Soudain il a pris la parole. A ma grande surprise, il a décortiqué le scénario comme s'il l'avait lu et relu, il a pointé des manques, suggéré un changement de construction et, c'est terrible, il avait raison !
En écoutant les uns et les autres, il avait parfaitement imaginé ce que j'avais écrit, jusque dans ses défauts.
C'était la force de Pierre : son intuition.
C'est bien sûr cette intuition qui a fait de lui ce grand producteur qui ne ressemblait à aucun autre.
Un producteur capable de deviner ce qu'un diffuseur ne savait pas encore vouloir, mais qui allait finir par l'emballer, voire à marquer l'histoire de sa chaîne.
Il pouvait, lors d'un rendez-vous avec un patron de chaîne, lui dire exactement le contraire de ce qu'il avait prévu de dire. Il pouvait inventer une idée dans l'instant en prétendant qu'il y travaillait depuis longtemps et repartir avec la commande.
Plus tard, il le racontait et ça le faisait rire.
Un autre souvenir.
Quand il a fait son dernier film de cinéma, Lisa, il y a eu une avant-première au Cinéma des Cinéastes, pour d'autres cinéastes et pour des professionnels.
Il m'a demandé de le présenter.
Il m'a appelé 3 fois pour savoir si j'avais bien reçu la cassette. Il m'a demandé 5 ou 6 fois si j'avais aimé le film, et au moins 4 fois de quelle façon j'allais le présenter.
J'étais stupéfait de découvrir, derrière la réussite flamboyante, derrière le séducteur si volubile et, apparemment, si sûr de lui, la fragilité d'un homme à qui pourtant tout semblait facile : il restait un créateur, au comble de l'angoisse.
Il avait beau avoir produit des centaines de films, il redevenait un cinéaste terrorisé par l'accueil que pourrait recevoir son film.
Ce cinéaste dont Bertrand Tavernier, qui fut attaché de presse sur Slogan, raconte qu'il disait qu'il était "le seul réalisateur juif américain du cinéma français"…
Je pense à ce film qu'il a si longtemps rêvé de tourner sur Fragson… et dont nous sommes quelques-uns à avoir lu les nombreuses versions de scénario.
Un film qui aurait mêlé son amour fou du music-hall et du spectacle avec des douleurs intimes, notamment en y scrutant, sous les paillettes, une difficile relation père fils…
Je crois que c'est parce qu'il a gardé ces rêves-là, et parce que, toujours, dans un coin, il écrivait ses poèmes, qu'il est resté un producteur aussi proche des créateurs, scénaristes ou réalisateurs.
D'abord parce qu'il les aimait, ses semblables, ses frères, et il les respectait.
Il avait une façon assez convaincante de vous déclarer, à chaque fois qu'un projet s'enclenchait : je te préviens, cette fois, tu vas faire ton meilleur film !
D'ailleurs, un jour, il m'avait donné sa définition du bon producteur : "c'est celui avec qui tu vas faire un meilleur film que si je n'étais pas là".
J'avoue que, depuis, je n'ai pas trouvé de meilleure définition.
Ensuite, il n'oubliait jamais l'ambition d'un projet.
Il considérait que son rôle était aussi de protéger les auteurs.
Avant tout le monde, il avait senti des évolutions de la télévision.
Mais au lieu, comme les autres, de les subir ou de courir derrière il voulait réagir. Comment préserver de l'originalité, comment permettre, toujours et encore, à des auteurs de s'exprimer ?
Par exemple, il analysait le besoin croissant, avec la concurrence, de produire des séries pour répondre aux besoins de rendez-vous.
Mais lui, plutôt que de demander à chacun d'oublier qui il est et d'entrer dans un moule plus ou moins industriel, il a inventé des "collections", ces films bouclés qui, bien sûr allaient répondre à la demande de rendez-vous, mais en même temps permettre à chacun de pouvoir continuer à faire œuvre personnelle.
Tu as une contrainte, disait-il, à l'intérieur tu fais ce que tu veux.
Étonnez-vous qu'avec tout ça on avait tous envie de travailler pour lui.
Je me souviens du bonheur quand, pour la première fois, il m'a appelé en me proposant de faire un film pour Hamster.
Je venais de faire un film de cinéma qui marchait moyennement et il savait le bien qu'il me faisait en me disant de venir le voir… Ça, c'était sa générosité.
Mais comme il n'était jamais là où on l'attendait, il m'a annoncé : tu vas nous faire un mélo !
Un quoi ? Moi ? J'ai dû le regarder avec des yeux ronds.
J'avais bien dans la tête une histoire triste, mais de là à en faire un mélo…
Ce jour là, il m'a donné une leçon. Comme tu es un optimiste, m'a-t-il expliqué, il faut que tes personnages, au cœur de leurs gros problèmes, pensent et disent régulièrement : Ah ! Maintenant tout va aller bien. Et là, le spectateur se dit : oh la la, le pauvre, qu'est-ce qu'il va prendre !
Crois-moi, m'a dit encore Pierre, ce spectateur, il ronronne de plaisir et il est heureux à guetter la catastrophe. Réfléchis.
J'ai réfléchi.
Je l'ai fait. Ça a été le début d'une vraie complicité amicale.
Je vous l'ai dit, c'était un Maître, un « instit ».
Merci Pierre.
Jacques Fansten