Hommage à Maurice Frydland
Les réalisateurs Jacques Fansten et Michel Favart saluent la mémoire de cette grande figure de la télévision, disparue le 12 mai dernier.
L'ami Maurice Frydland
par Jacques Fansten
Dans le hall de la Maison de la Culture, quelle que que soit l'heure à laquelle vous arriviez, une silhouette familière, à la fois imposante et guillerette, se précipitait vers vous, ravie de vous recevoir.
Nous sommes nombreux à garder cette image de Maurice, nous accueillant aux Rencontres de Reims. Ce festival de télévision épatant qu'il avait voulu convivial et chaleureux, pour faire partager, à tous, deux de ses passions : découvrir des œuvres de télévision qu'on ne voyait nulle part ailleurs, et faire se mêler des gens qui, d'habitude, travaillaient chacun dans leur coin. Avec cette bonhomie et cette malice qui lui étaient propres, cette façon de s'arranger pour que chacun se sente bien, il réussissait pendant quelque jours ce miracle : des scénaristes, des réalisateurs, des comédiens, des producteurs, des décideurs, se rencontraient, se parlaient, couraient d'une projection à l'autre, parfois même se mettaient à rêver ensemble.
A peine arrivé, c'était rituel il vous poussait dans une salle en vous assurant que la projection qui commençait dans 3 minutes, ou même qui venait de commencer, était géniale, et allait vraiment vous plaire. Je revois encore sa tête réjouie (elle l'était souvent) quand il vous guettait à la sortie pour vérifier que vous aviez aimé.
On ne savait pas comment il faisait pour les dénicher, mais c'était là, à Reims, chaque année au mois de mars, qu'il nous faisait découvrir tout ce qui allait marquer l'évolution de nos télévisions dans les années suivantes. Notamment l'avènement de séries originales et ambitieuses dont personne encore n'avait entendu parler… Je me souviens de sa fierté de nous montrer, le premier, Les Soprano. Ou Six feet Under. Ou Minuit le soir ou Carnivale.
Sans affectation ni calcul, avec comme toujours la complicité de Marie Jo dont il avait tant besoin, il avait fait de ce rendez-vous annuel, un lieu de rencontres professionnelles indispensable, en même temps qu'un moment d'échange et de plaisir.
C'était ça, Maurice. Cet enthousiasme et cette générosité.
Il avait imaginé et créé ce festival exceptionnel comme il faisait ses films, rigoureusement et sans esbroufe.
Car, bien sûr, Maurice Frydland était d'abord un réalisateur.
Un de ceux qui ont fait l'histoire de la télévision française. Son parcours, fait d'une grande diversité d'aventures, en est un récit précieux.
Grand reporter d'abord. De Panorama à 20ème Siècle, en passant par Dim Dam Dom, il a parcouru le monde pendant des années et exploré au présent l'histoire de son temps, auprès de quelques très grands journalistes qui, chaque fois, devenaient et restaient ses amis : ils aimaient sa culture, son ouverture, sa curiosité, en même temps que son goût discret pour "la belle ouvrage".
Plus tard, d'ailleurs, il aimait les revoir, pour interroger encore ces témoins qui lui étaient précieux, les écouter et apprendre auprès d'eux. Chez lui, parfois, le soir, c'était un régal, cette réunion d'intelligences autour de lui et de Marie Jo. On en repartait empli d'informations, de doutes et d'interrogations, et c'est ce qu'il aimait.
Puis documentariste. Toujours le désir de faire partager ses enthousiasmes, ses rêves ou ses douleurs. On se souvient de son film épatant sur Orson Welles, Citizen Welles, de sa quête sur les traces de Stevenson, ou de son poignant Les Enfants du Vel' d'hiv… C'est que sous ses dehors d'agréable compagnon, c'était un homme d'une grande culture, goulu d'apprendre.
Et puis bien sûr, la fiction, son autre passion
Comme de nombreux autres, c'est Françoise Verny qui lui a permis de l'aborder. Elle aussi, après avoir travaillé avec lui, est devenue son amie.
D'autres, ailleurs, raconteront sa filmographie. Je veux juste rappeler ici trois directions, trois élans, qui, je crois, sont les repères de son œuvre.
Son obsession d'explorer l'histoire récente : L'arme au bleu est l'un des rares films de télévision, en tout cas l'un des tout premiers, à avoir abordé de front la guerre d'Algérie.
Son sens de la critique sociale, entre Assedicquement vôtre et L'homme de pouvoir il savait y mettre une ironie triste, à peine désabusée.
Et enfin, son plaisir infini au romanesque : son Mystérieux Docteur Cornélius, en des temps où une série s'appelait encore un feuilleton, est un régal, entre fantastique délirant et humour décalé.
Il travaillait la plupart du temps au gré des "commandes", et pourtant ses dizaines de films ont une vraie cohérence.
Avec le recul, je me dis que sa modestie sincère, sa façon de se mettre avant tout au service d'une histoire et d'un scénario, sans retape ni effets de manche, son choix conscient de toujours s'effacer derrière les acteurs qu'il aimait tant et qui, je crois, le lui rendaient, sa volonté de ne pas "la ramener" et de se considérer simplement comme un artisan de la mise en scène, ont sans doute fait qu'on parlait moins de lui qu'il ne l'aurait mérité.
Aujourd'hui, il faut revoir ses films.
Maurice était d'abord un homme curieux. Immense lecteur, quasi compulsif, il semblait avoir lu tous les livres qui traitaient de son autre passion : l'histoire contemporaine, avec ses épouvantes d'un côté, ses illusions perdues de l'autre. On le savait meurtri d'avoir vécu ces temps tragiques et ces rêves bafoués. Il voulait comprendre. Il cherchait désespérément la réponse à cette question qui l'aura poursuivi toute sa vie : comment a-t-on pu en arriver là ?
Parfois une vision noire de l'humanité le submergeait, sans doute construite dès l'enfance de ce petit juif fuyant dans la guerre, et confortée par toutes ces gamberges. Il n'avait pour s'en sortir que son humour et heureusement il en avait en réserve.
Sa générosité a fait de lui un militant. Il aimait s'occuper des autres.
J'ai parlé de Reims, ce festival qu'il a voulu et qui reste un modèle inégalé. Après 20 ans de succès, il a dû s'arrêter brutalement, comme on retire sans raison un film de l'affiche, parce qu'une nouvelle élue à la Mairie, sans doute convaincue que "la télé, ce n'est pas de la culture" a cru que c'était ça l'alternance! Il en a été terriblement affecté, encore plus outré que ce mauvais coup vienne de "la gauche", qu'il voulait considérer malgré tout comme sa famille.
Il a aussi été le cofondateur du Groupe 25 images.
Il a siégé longtemps au Conseil d'Administration de la SACD…
Il voulait être de tous les combats. Il regardait se déliter cette idée de Service Public de télévision à laquelle il avait consacré beaucoup de sa vie. Sans être passéiste. Au contraire, il était l'un des plus affutés pour comprendre les évolutions voir venir les bouleversements. Il fut ainsi l'un des initiateurs de Séries Mania.
Il regardait avec gourmandise cette télévision inventive, audacieuse, créative qui se construit un peu partout dans le monde, en regrettant les immobilismes ou les frilosités chez nous.
Il était triste que les faits, souvent, donnent raison à son pessimisme. Et il finissait par en sourire.
Ces dernières années, il a eu un dernier projet, sur Montaigne.
Il y aurait sans doute trouvé une façon élégante et imparable de parler de lui : le doute, la curiosité, la lucidité, la tolérance… Ce film ne s'est pas fait.
Maurice était l'ami de nombre d'entre nous.
Dans le monde de son enfance, avec une pointe d'accent yiddish, on aurait dit de lui que c'était un "Mensch", littéralement : "un vrai homme", d'intégrité et d'honneur.
Autrement dit, c'était un type bien.
À petites foulées...
par Michel Favart
Tous les dimanches à 10 heures 30, Maurice est venu me chercher avec sa Saab grise, pour aller courir aux bois de Vincennes...
C'est lui qui me l'avait proposé et qui avait su me convaincre de le faire.
Mais il fallait, m'avait-il dit, le faire sérieusement, et pour cela être équipé.
Maurice m'avait donc conduit au Vieux campeur, pour acheter un short noir et de vraies chaussures de coureur : des New Balance.
Maurice garait la voiture sur une route pas très loin du château de Vincennes, et nous nous engagions dans un chemin en sous bois.
Là, à petites foulées, en contrôlant notre souffle, nous partagions nos coups de cœur, les livres que nous avions aimés, les films de cinéma et de télévision que nous venions de voir. Nous étions souvent d'accord, et Maurice me racontait les séries américaines qu'il découvrait, Sex and the city, Les Soprano, Six feet under, séries qu'il faisait partager à tous ensuite, pendant les Rencontres de Reims.
On parlait bien sûr aussi de politique, en commentant l'actualité, et surtout, on se racontait les films que nous voulions faire et on évoquait les tournages que nous allions commencer. On partageait les enthousiasmes et les angoisses d'avant et d'après, et Maurice me racontait le grand plaisir qu'il venait d'avoir en tournant avec Gérard Desarthe ou Pierre Arditi.
À petites foulées, en contrôlant son souffle, chacun partageait le rêve de l'autre...
Dans ces sous-bois nimbés de soleil ou sous la pluie, cela n'avait pas d'importance...
À petites foulées, on s'oxygénait le corps, le cœur et l'esprit, pour mieux se replonger dans le travail de la semaine, en essayant d'être à la hauteur de nos exigences et de nos rêves...
Un dimanche, ça a été le dernier, je suis parti pour un long tournage à l'étranger.
Et nous avons cessé de courir le dimanche à Vincennes.
Avec Maurice, nous avons continué de partager et d'échanger, à petites foulées, en gardant notre souffle, pendant toutes ces années...