Télévision 28 avr 2015

Hagai Levi :« Je pense toujours d'abord à des thèmes que je veux explorer plutôt qu'à des histoires »

Le créateur israélien de BeTipul/In Treatment et de The Affair était l'invité du festival Séries Mania. Il est venu à la SACD pour une rencontre avec des scénaristes et réalisateurs français animée par Claire Lemaréchal, le 21 avril dernier. L'occasion de partager en toute liberté un peu de son expérience, dans son pays et aux Etats-Unis.

Hagai Levi, Sophie Deschamps, Claire Lemaréchal

Hagai Levi, Sophie Deschamps, Claire Lemaréchal
 

Scénariste star en Israël, Hagai Levi était cette année à Séries Mania pour présenter The Affair, sa dernière série, produite et diffusée par la chaîne américaine Showtime. Avant d'en parler en compagnie de Claire Lemaréchal, coprésidente de la commission Télévision de la SACD, il est d'abord longuement revenu devant le public de la Maison des Auteurs sur le programme qui le fit connaître, dans son pays et ailleurs : BeTipul.

BeTipul, une longue gestation

Diffusée à partir de 2005 sur la chaîne câblée israélienne Hot 3, BeTipul obéit à un principe simple : programmée du lundi au vendredi, elle met en scène un psychanalyste qui reçoit quatre jours durant un patient différent avant, le vendredi, de se rendre lui-même chez son thérapeute. C'est bien ce jeu sur la forme qui, confie Hagai Levi, est à l'origine du projet la série. Au début de sa carrière, il travaille ainsi pendant trois ans sur un soap hospitalier. "C'était une télénovela un peu stupide, mais j'y ai appris à écrire pour une diffusion quotidienne. Je me suis dit qu'on pouvait très bien tirer profit de cette structure pour faire quelque chose de plus intéressant." Le sujet de la psychothérapie est venu ensuite. "Cela m'a toujours intéressé. Je trouve que le métier de scénariste se rapproche beaucoup de celui de psychanalyste. Créer un personnage suppose de le comprendre parfaitement et donc de l'analyser en profondeur." Au cinéma et à la télévision, Hagai Levi trouve que les scènes de thérapie fonctionnent généralement mal, faute de temps, et que la programmation en quotidienne permettra de rendre compte de la durée réelle d'une thérapie. Mais il faut encore convaincre un éventuel diffuseur.

Lors de la présentation du projet aux chaînes, l'accueil est réservé. Elles ne comprennent pas bien le concept que leur présente l'auteur. Hagai Levi fait appel à deux amis comédiens et tourne un premier pilote. Cette fois, les diffuseurs voient mieux à quoi ils ont affaire, mais ne sont toujours pas convaincus du potentiel commercial de la série. Il lui faudra deux ans pour que la série arrive à l'antenne, à la faveur d'un créneau tardif libéré par un animateur en vacances. Pour chaque épisode, il ne dispose que de 25 000 $ et d'une journée de tournage. "En revanche, on m'a laissé faire ce que je voulais", se souvient-il.

Une écriture éprouvante

Pour écrire la première saison de BeTipul, il s'entoure d'un coauteur principal, Ori Sivan avec qui il élabore les synopsis de chaque épisode. Les rejoignent cinq scénaristes qui seront chacun en charge d'un personnage ainsi qu'un psychanalyste en guise de consultant. Même si, question documentation, "en Israël, tous les scénaristes suivent eux-mêmes une psychanalyse" sourit Hagai Levi. Ce processus d'écriture fut éprouvant. Les scénaristes engagés sont les meilleurs du pays. De l'avis de leur patron, ils écrivent très bien pour les patients mais butent tous sur le personnage du psy qui sera à l'écran incarné par Assi Dayan. "Ils le détestaient. Et c'est vrai que c'est difficile d'écrire BeTipul. Cela va contre toutes les règles d'écriture. Il n'y a pas vraiment de conflit. Les personnes dans le cabinet veulent tous la même chose." Hagai Levi s'investira énormément dans la réécriture et c'est lui qui trouvera la clé : chaque patient sera l'incarnation d'un conflit intérieur du psy. La vie de cet homme est en effet loin d'être en ordre rangé : sa vie de couple est chaotique, il s'interroge sur sa profession...

Ce nouvel angle pour appréhender le personnage sera davantage creusé encore dans la deuxième et dernière saison de la série diffusée en 2008. Même si ce n'était pas le plan initial. Hagai Levi avait en effet d'abord pensé changer de psy et en faire cette fois une femme. Mais il ne trouvera jamais la bonne actrice et se résignera à rappeler Assi Dayan. Un acte manqué selon lui : "Je savais au fond de moi que je n'en avais pas fini avec le personnage. Il y avait d'avantage à dire sur lui."

In Treatment et la méthode américaine

Entre temps, BeTipul est devenu un phénomène. Le succès est retentissant. En Israël, le tarif élevé de 100 $ la séance appliqué par le personnage principal incite tous les psys du pays à augmenter leurs prix. Les patients eux, réclament à leur thérapeute de se montrer aussi compréhensif que celui de la série. Dès la deuxième ou troisième semaine de diffusion, en saison 1, Hagai Levi commence à recevoir des coups de fil de l'étranger pour lui faire part d'envies de remakes. Aux Etats-Unis, le concept éveille l'intérêt du producteur à succès Stephen Levinson (Entourage) qui lui ouvrira les portes de plusieurs chaînes. "Ce sont elles qui essayaient de me convaincre. Je connaissais HBO, et même s'ils proposaient moins d'argent que les autres, je me suis dit que c'était le bon endroit." Ainsi naîtra In Treatment avec dans le rôle du psy, Gabriel Byrne. "Tout le monde m'a prévenu qu'ils changeraient probablement tout. En fait, pas vraiment. Ils ont compris quelle était l'essence de la série."

Sur la première saison, il hérite du titre de producteur exécutif. Il sera en fait simplement impliqué sur le casting puis sur le tournage des cinq premiers épisodes, en tant que consultant. Il encourage de toute manière HBO à s'approprier la série. Il s'impliquera davantage en saison 2, emménageant à New York pour six mois. Ce qu'il découvre sur place, c'est la conception du métier de showrunner à l'américaine. "C'est quelque chose de très difficile. Tout le monde n'est pas taillé pour ce rôle. Il faut une vision, des talents de manager, de l'amour pour les acteurs - alors que les scénaristes détestent les acteurs et les gens en général, c'est bien connu...", plaisante-t-il. Le pouvoir dont dispose le showrunner s'accompagne aussi d'un rôle mineur dévolu aux réalisateurs, ce qu'il regrette. "Ils sont obligés d'avoir l'autorisation du showrunner pour changer la moindre ligne. Et ce dernier a aussi le dernier mot au montage. Les réalisateurs ne font que passer, parfois, il ne savent rien du projet sur lequel ils sont embauchés. Je pense qu'il faudrait trouver un entre-deux avec le système européen." Hagai Levi apprécie en revanche la manière dont sont organisées là-bas les salles d'écriture : "Elle sont très hiérarchisées, il y règne une grande discipline. Cela rend les choses plus faciles. Les scénaristes américains sont de gros travailleurs. Ils peuvent écrire de 9h à 17h. Ce sont des machines." Et puis comme Hagai Levi le souligne : "Parfois, c'est bien de pouvoir disposer de plus d'argent", même s'il s'interroge sur la pertinence de s'entourer d'énormes équipes et de disposer d'une semaine pour filmer deux acteurs en train de parler dans une pièce.

Un succès planétaire

Les Etats-Unis ne sont pas le seul pays à produire un remake de BeTipul. A ce jour, 17 adaptations ont vu le jour (mais pas en France, les chaînes rechignant à ménager dans leur grille une place pour une série quotidienne de 30 minutes, même si une nouvelle tentative serait en préparation). Hagai Levi peine à s'expliquer ce succès sans frontière. Ce qui aide à son avis, c'est qu'au départ, il a pensé les différents patients comme des archétypes : le soldat, la femme amoureuse, l'adolescente, le couple en crise. Ce n'est qu'ensuite qu'il a détaillé leur personnalité à chacun. Dans chaque pays, les scénaristes ont pu se les approprier et en proposer des déclinaisons locales. "Le personnage du pilote dans BeTipul a tué vingt personnes dans un bombardement à Gaza. Il doit composer avec cette culpabilité. Mais son père est un survivant de l'Holocauste. Il a élevé son fils dans l'idée d'être fort, de ne pas s'apitoyer sur lui-même. C'est un personnage typiquement israélien. Dans les adaptations, c'était l'occasion d'explorer les blessures locales : en Italie, c'est devenu un mafieux dont le père luttait contre la corruption, en Hongrie un businessman dont le père combattait les communistes..."

Hagai Levi est aussi convaincu que le caractère universel de la série tient au fait qu'il n'a jamais essayé d'en faire justement un programme calibré pour toucher le plus de personnes possible. "Quand j'ai développé BeTipul c'était en réaction à ce que je voyais à la télévision. Je l'ai écrit pour que mes amis aient quelque chose d'intéressant à regarder et il s'est avéré que j'avais beaucoup plus d'amis que je pensais à travers le monde. Il manquait une série qui ne soit pas basée sur le mensonge et la manipulation. Or on ne va pas chez le psy pour le mener en bateau. Dans BeTipul, la seule personne à qui les personnages mentent c'est eux-mêmes. C'est cette sincérité à laquelle le public a réagi." D'ailleurs, Hagai Levi regrette qu'à la suite du succès de sa série, de nombreux auteurs israéliens se soient mis à penser en priorité au potentiel d'exportation : "Je trouve ça insensé de vouloir s'adresser au monde. Moi, les gens à qui je cherche à m'adresser, avec qui je veux dialoguer, forment un groupe restreint. C'est pour cela que je travaille plutôt sur des petites chaînes."

The Accursed, le retour aux sources

Fort de toutes ses expériences à l'étranger, Hagai Levi revient en Israël avec le besoin de se ressourcer. "J'étais un peu en crise. Je me demandais si je ne m'étais pas un peu trahi." Il créera donc son projet le plus personnel à ce jour, The Accursed, une mini-série en cinq épisodes sur des artistes méconnus qui l'inspirèrent dans sa jeunesse. Tournée à la manière d'un documentaire et programmée sur une chaîne spécialiste du genre, The Accursed sera à l'origine d'un mini-scandale, certains ayant mal compris la part de fiction du projet. Une réaction qui loin de perturber l'auteur, marque au contraire selon lui le succès de l'entreprise. 

The Affair, une question de point de vue

Son projet suivant, il le développe, toujours pour la télévision israélienne, avec la scénariste américaine Sarah Treem, l'une de ses partenaires d'écriture sur In Treatment. "L'idée m'est venue de traiter de l'adultère, qui dans notre monde post-moderne, reste une vraie source de conflit moral. J'ai donc pensé à un homme marié qui se définit lui-même comme un type bien, qui n'aurait jamais imaginé que ça puisse lui arriver à lui et qui se retrouve pourtant embarqué dans une relation."Comme pour les séances chez le psy, il trouve qu'au cinéma et à la télévision, on utilise la liaison extra-conjugale comme une péripétie et rarement comme un vrai sujet, en reflétant généralement le seul point de vue d'un des deux amants, un point de vue pas dénué de jugement. "Je voulais que les deux amants aient la parole équitablement et c'est comme ça que m'est venue l'idée du dispositif à la Rashomon." Comme dans le film d'Akira Kurosawa, The Affair alterne entre différentes versions de la même intrigue : les 30 premières minutes de chaque épisode présentent les événements du point de vue de l'homme et les 30 suivantes, du point de vue de la femme. Ou vice versa.

En une semaine, les deux coauteurs couchent sur papier la structure de 3 saisons de The Affair. La moitié d'épisode du point de vue masculin sera écrite par Hagai Levi et l'autre par Sarah Treem. Cette dernière convainc d'ailleurs son partenaire israélien de développer la série aux Etats-Unis : il y aura forcément un remake, pourquoi ne pas sauter une étape, lui dit-elle. Ensemble, ils démarchent les chaînes et se mettent d'accord avec Showtime. Après avoir tourné le pilote, Hagai Levi se demande si leur duo pourra durablement fonctionner. "Je me suis dit que certains projets fonctionnent mieux quand ils sont entre les mains d'une seule personne. J'avais du mal à écrire pour ce personnage, qui devait être typiquement américain. Moi en tant qu'Israélien, je me sens légitime pour écrire sur des immigrés sur le sol américain, pas plus.  J'ai dit à Sarah que c'était son pays et que ce devait être sa série." La première saison de The Affair a été diffusée en octobre dernier et la série a depuis été renouvelée. 

Une envie de cinéma

La suite pour Hagai Levi, ce sera peut-être encore des séries. Il développe deux nouveaux projets aux Etats-Unis et n’exclut pas de retravailler pour une chaîne israélienne. Mais ce qui l'occupe actuellement, c'est un projet de film. Après tout, travailler pour le cinéma était son projet initial à sa sortie de l'université. Le film sera l'adaptation du journal qu'écrivit au début des années 40 Etty Hillesum, une jeune femme juive néerlandaise. Elle se rendit de son propre chef dans les camps pour aider les autres et mourut à Auschwitz. Elle vécut à Amsterdam une histoire d'amour avec un psychiatre, élève de Carl-Gustav Jung. Pour Hagai Levi, écrire ce film représente une rupture dans sa carrière : "J'essaie d'être moins cérébral. L'intrigue a toujours été secondaire pour moi. Je pense toujours d'abord en termes d'idées, de concepts, de thèmes. Mon esprit fonctionne ainsi. Et pour une fois, je veux me forcer à être un peu moins dans l'analyse et me laisser davantage porter par mon intuition. Dans un film d'auteur, on recherche moins l'efficacité qu'à la télévision. Je peux davantage me reposer sur la force des images, moi qui viens d'un univers de mots. C'est une forme de liberté nouvelle."  Une liberté dont il espère pouvoir profiter encore si ce long-métrage devait s’avérer un succès. Souhaitons-lui que ce soit le cas.