Du texte à la scène, la restitution du marathon d'écriture du OFF
A l'occasion de la journée des auteurs du OFF le 15 juillet, trois auteurs se sont prêtés au jeu d'un marathon d'écriture. Nous publions leurs textes, improvisés en 45 minutes seulement.Le 15 juillet dernier, la SACD s'associait à la journée des auteurs du OFF et proposait en collaboration avec le festival OFF d’Avignon et Artcena un marathon d'écriture. Les auteurs Yan Allégret, Hakim Bah et Catherine Verlaguet étaient invités à improviser autour du thème imposé "Et la joie dans tout ça ?" avec pour contrainte de rédiger leur texte en 40 minutes avant restitution en 10 minutes sur scène.
Voici le fruit de leur travail à chacun, reproduit avec leur aimable autorisation.
Le texte de Yan Allégret
Publié par l'auteur sur son compte Facebook :
Le texte de Catherine Verlaguet
Le sourire écorché
Il en faut de la joie
dans le monde, il en faut
de la foi pour
panser la colère.
Léontine s’est épuisée trop longtemps à sourire
jusqu’à ce que les muscles de son visage soient tellement liftés que c’était à se demander, à force, si elle souriait
ou si elle pleurait –
sourire grimace, face au monde : Léontine est seule depuis dix ans
à se relever.
Léontine est sèche comme
une brindille de bois ;
solide comme le roseau qui a plié
sans rompre :
Léontine n’a pas rompu –
elle a fuit,
sans mots dire.
Léontine, comme tout le monde, est tombée tant de fois,
c’est toujours relevée –
la dernière fois a été la plus douloureuses mais
Léontine est là, dix ans après,
dans le métro.
Dix ans après, dans le métro, Léontine sent,
là bas -
comme on sent, parfois –
un regard la happer.
Léontine voit, mais ne regarde pas.
Ce fil tendu des corps qui se retrouvent
là où ils ne s’y attendaient pas,
là où ce n’était pas prévu,
là où ils ne sont
pas prêts, pas bienvenus –
elle n’est pas prête, non, pour ce fil là, tendu –
elle a déjà donné.
Car ce regard, là bas, est celui –
et elle n’a pas besoin de regarder pour le savoir –
ce regard là est bien
celui qui l’a faite tomber, gouffre, au fond,
celui qui
a pétri son sourire en grimace, il y a dix ans, déjà.
La rage grondait alors en larmes sourdes –
rage étroite, étriquée,
impuissance hystérique hurlée silencieusement –
Léontine regarde à présent,
de son corps noué, vestige…
L’homme regarde Léontine ne pas s’avancer ;
ne pas dire : « bonjour, comment tu vas, qu’est ce que tu deviens ? »
L’homme ne sait pas, ne comprend pas, ne veut pas, peut pas
comprendre,
n’a aucune idée de l’impact que ses mots couteaux ont eu
sur elle –
lacérée, Léontine.
Crash-ée, Léontine.
Il n’a pourtant jamais tombée la main sur elle !
Et soudain,
le corps dénoué, vertige,
dix ans à se relever -
Léontine sourit –
sourit à l’homme –
lui fait même un adieu de la main -
c’est terminé.
Léontine sort du métro et laisse derrière elle
le poids,
la peur,
le gouffre, car
il y a dix ans
elle a sauté
et elle n’est pas tombée.
Le gouffre n’a parfois de hauteur que le vertige qu’on lui donne.
Alors, dans les rues, tout en marchant,
Léontine sourit.
Le texte d'Hakim Bah
D'abord ça a été une image
et puis deux
et puis trois
et puis
une succession
qui te pousse
fait que
superposition qui
décidément
tu ne veux plus penser
tu ne veux plus te souvenir
superposition
et si tout s'arrêtait
tu hésites
et puis le bruit
tu te lances
mais tu t'arrêtes
superposition
le basculement
les choses rêvées
les choses espérées
qu'as-tu fais
tu réalises que rien n'est plus possible
ne sera
« tu es trop grand pour ton âge »
tu t'assois
« tu fais trop grand pour ton âge »
tu te lèves
le bruit
« ton âge »
tu t'approches de la fenêtre
« ton âge »
tu regardes la distance qui te sépare du sol
« ça fait pas ton âge »
tu penses au bruit de ta tête contre le béton
non tu ne penses pas
le fracas
tu ne veux pas penser
vibration
« nouvelle notification »
tu ne regardes pas
quelqu'un a liké ta photo
tu veux sourire mais
« ton âge »
le bruit
tu sais qu'ils vont monter les escaliers
mais ça ne te fait pas peur
tu sais qu'ils vont sonner
tu n'ouvriras pas
tu sais qu'ils vont défoncer la porte
et que
et que
et que
tu ne seras pas là
tu ne veux pas attendre ce moment
tu préfères te lancer dans le vide