Décideurs publics, services publics : comment développer la création de fiction ?
A l’occasion de la 6ème édition du Festival Série series à Fontainebleau, la SACD a organisé un débat autour du rôle des services publics dans la création de fiction.
Avant d’engager les discussions, Pascal Rogard, directeur général de la SACD et animateur de ce débat, a tenu à faire un point sur la situation de Canal +. Il a confirmé que Canal + avait arrêté de payer les sommes dûes aux auteurs, via les sociétés de gestion collective, et que la SACD allait désormais engager les procédures judiciaires nécessaires. Il a poursuivi : « Le précédent le plus récent en matière de non-paiement des auteurs était la petite chaîne Numéro23, qui a payé depuis, mais c’est la première fois qu’un grand groupe audiovisuel adopte ce type de comportement. »
Vision norvégienne et vision française
Qu’est-ce qu’un service public ? Quel rôle doit-il jouer à l’égard de la fiction ? Ces questions ont animé une partie des échanges. Tone C. Ronning, productrice au sein de la NRK, chaîne publique norvégienne, a défini des objectifs simples et forts : servir le public, renforcer la démocratie, assurer la diversité, atteindre le cœur et l’esprit des gens. Elle a aussi insisté sur l’idée que la technique devait conduire le changement, imposant une adaptation permanente et un état d’esprit ouvert sur l’innovation.
Pour Bénédicte Lesage, productrice au sein du groupe Shine France, l’essentiel doit être de conforter le vivre-ensemble. C’est aussi pour elle un rôle important que doit jouer la création et la fiction en particulier. De son côté, Arnaud Malherbe, réalisateur, a souligné qu’un mouvement positif s’était enclenché à France Télévisions mais qu’il fallait encore aller plus loin pour créer des conditions plus favorables à la création et prendre des risques pour donner à voir la diversité des mondes. L’un des enjeux majeurs doit aussi être selon lui de réagir face à des audiences vieillissantes. Savoir parler à tous les publics et répondre aux nouveaux usages est une urgence.
L'importance des projets numériques
Pour Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, le soutien à la création est un enjeu clé pour le service public auquel il faut assigner des objectifs précis. Au-delà de la croissance des investissements dans la fiction qu’elle a engagée, l’augmentation des volumes de fiction pour rattraper le niveau de pays comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne, l’encouragement à diversifier les formats, les genres et les cases de programmation, font partie de ses priorités. Décidée à accélérer, elle a toutefois rappelé qu’on était sur du temps long et que, par exemple, les premières décisions concernant la série 10% avaient été prises sous la présidence de Patrick de Carolis. Elle a partagé également avec Arnaud Malherbe la nécessité de proposer une offre pour les jeunes, d’où la décision de France Télévisions de développer des projets numériques et notamment la future plateforme de vidéo par abonnement. Ces initiatives permettront aussi d’accueillir de nouvelles écritures.
Pour Bénédicte Lesage et Arnaud Malherbe, le développement des plateformes numériques est aujourd’hui une donnée importante : elles tendent à donner aux créateurs une liberté de création plus grande et la capacité de pouvoir aborder des sujets différents qui ne sont pas forcément aujourd’hui accueillis par la télévision. Le service public doit aussi s’inscrire dans cette logique de modernité et de liberté.
Régions : ne pas opposer économie et culture
A leur tour, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, à la tête respectivement des conseils régionaux d’Ile-de-France et des Hauts-de-France, ont livré leur vision du service public et plus globalement des enjeux de la politique audiovisuelle. Pour la présidente de l’Ile-de-France, « le service public devrait être le fer de lance d’une politique audacieuse financée par l’argent public ». Ne voulant pas opposer économie et culture, elle a aussi souligné à quel point la création pouvait servir de ciment social, dans une région plein de contraste et de différences dans laquelle une politique d’inclusion est nécessaire. Trois mots peuvent résumer la logique d’action de la région : inclusion (faire de la culture un élément d’intégration et de lien social), itinérance (éviter l’entresoi et les déserts culturels) et création (« on ne peut pas être la 5ème puissance mondiale et ne pas être une terre de création »). Pour encourager ce mouvement, elle a notamment annoncé le lancement cet été d’un fonds des talents émergents afin de donner aux jeunes la possibilité de créer leur première œuvre en Ile-de-France. Quarante jeunes seront sélectionnés, dont 10 en audiovisuel et cinéma. Ils percevront 2500 € par mois pendant 10 mois.
Xavier Bertrand a tenu à porter une parole forte sur sa conception de l’audiovisuel et de la culture : « Ne parler que des enjeux économique de la culture, c’est être complétement à côté de la plaque. S’il n’y a qu’une dimension économique, le jour où il faudra faire des économies, alors l’audiovisuel trinquera. » Pour lui, l’enjeu pour l’audiovisuel doit aussi être d’évoquer sa dimension culturelle. Durant la campagne qu’il a remportée face à Marine Le Pen aux précédentes régionales, il a été marqué par la nécessité de propulser une dynamique puissante pour pallier les baisses d’investissement de l’Etat et de certaines collectivités locales. C’est pourquoi il s’est engagé à augmenter le budget de la culture de 60% pour la durée de son mandat, passant de 60 à 110 millions d’€. Sa volonté : casser les routines et les habitudes administratives, aller plus vite et devenir la 1ère région de province sur l’audiovisuel.
Concernant le service public, il doit, selon lui, définir une stratégie à l’égard des nouveaux acteurs comme Netflix et Amazon, entre une opposition stérile et inefficace et des tentatives dangereuses de tout céder. Pour ce faire, le service public ne pourra sans doute pas compter sur une augmentation de ressources publiques, quels que soient les gouvernements en place. En revanche, il estime nécessaire qu’il puisse y avoir une visibilité plus grande des moyens qui lui sont donnés et des engagements pris sur la durée du mandat.
Delphine Ernotte a fait part de ses espoirs d’un profond changement concernant la contribution à l’audiovisuel public (CAP), ex-redevance. En particulier, beaucoup de pays en Europe se sont désormais inscrits dans un dispositif à l’allemande, prévoyant une fiscalisation de cette redevance. C’est, selon elle, un modèle intéressant pour moderniser le financement du service public et prendre les devants face à la baisse qui arrivera de la CAP dans son périmètre actuel.
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