Audiovisuel 24 oct 2019

Damien Couvreur : « Nous sommes là pour rester et nous intégrer de manière vertueuse dans l’écosystème »

Le responsable des séries originales françaises de Netflix était à la SACD le 23 septembre pour échanger avec les auteurs. La salle était comble, les questions nombreuses, et l’enthousiasme palpable, de part et d’autre.

 

Les auteurs ont répondu en nombre à l’invitation, au point que la disposition des lieux avait été modifiée. Nouvel entrant dans le paysage, avec 6 millions d’abonnés en France et des moyens conséquents, Netflix est une promesse de nouveaux horizons pour les auteurs. Ils ont d’ailleurs découvert un modèle très différent de celui des chaînes traditionnelles.

Pascal Rogard, directeur général de la SACD, a indiqué en préambule que Netflix était en train d’intégrer le système français de soutien à la production. Déjà soumise à la taxe vidéo du CNC, la plateforme de Reed Hastings aura également, avec la prochaine loi, des obligations d’investissement dans la création audiovisuelle et un quota d’exposition d’œuvres européennes.

Pour Damien Couvreur, cette contribution au système français est naturelle. La plateforme entend s’intégrer à l’écosystème partout où elle se développe, et recrute « des experts locaux qui opèrent sur leur marché local ». Il s’est lui-même présenté comme « un pur produit du système français » : formé à Sciences Po et l’Essec, il connaît le secteur de l’intérieur puisqu’il a été plusieurs années producteur avant d’être recruté par Netflix, voici deux ans.

Si Damien Couvreur est spécifiquement chargé des séries originales françaises, il est en lien constant avec le siège à Los Angeles, l’équipe de coordination européenne à Amsterdam, et les différents bureaux en Europe (Londres, Madrid, et bientôt Berlin).

L’équipe parisienne se compose actuellement d’une trentaine de personnes travaillant à la fois à la fabrication des contenus, à leur promotion et à leur mise en ligne. «  On est plus dans une ambiance start up que multinationale », a lancé Damien Couvreur ajoutant que « l’organisation est peu hiérarchique et les échanges directs et horizontaux. »

Damien Couvreur s’occupe exclusivement des séries pour adulte (y compris animation), les séries live jeunesse relevant  du pôle famille-jeunesse, dirigé par Dominique Bazay.

La ligne : « des projets authentiques et innovants »

La mission de Damien Couvreur est de « trouver des projets authentiques et innovants ».

Pour mieux expliciter cette formule, Damien Couvreur a évoqué les deux dernières séries lancées en France, en septembre. Marianne, série écrite et réalisée par Samuel Bodin et Quoc Dang Tran est selon lui un bon exemple de l’ADN de Netflix : « elle est innovante car c’est la première série d’horreur française, elle est authentique car elle est portée par la vision de Samuel Bodin, et plus on avance dans la série, plus on se rend compte que c’est une œuvre personnelle et singulière ». Autre exemple : Criminal, qui a la particularité d’être réalisée dans quatre pays (Allemagne, Angleterre, Espagne, France) et de mettre ainsi en perspective quatre systèmes judiciaires différents, tout en traitant de thématiques propres à chaque pays.

Damien Couvreur a également cité plusieurs séries en développement : une relecture fantastique de la Révolution française ; une adaptation d’Arsène Lupin, avec Omar Sy, « qui témoigne de l’envie de Netflix de s’inscrire dans le patrimoine culturel très riche de la France » ; la saison 2 de Plan Cœur, « une série très drôle, parisienne, féminine, divertissante et sincère » ; une série adaptée de Vampires, roman inachevé de Thierry Jonquet, ou encore Mortel, qui met en scène des lycéens liés par une force surnaturelle. La série est écrite par Frédéric Garcia, qui sort tout juste de la Fémis (section Séries TV) et qui a suivi toutes les étapes de fabrication : casting, montage, musique.

« Du genre pour les jeunes ? », a résumé un auteur.  Damien Couvreur a dit « ne pas être fan de cette approche démographique », d’autant que Netflix ne connaît pas l’âge de ses abonnés (qui donnent seulement une adresse mail). « On veut d’abord proposer des contenus différenciés, mais, oui, on n’a pas peur de lorgner vers le genre et de mettre en scène des héros plus jeunes !

L’auteur au centre du modèle Netflix

Damien Couvreur a souligné que « l’un des atouts majeurs de Netflix est d’avoir une interlocution directe avec tous les talents à toutes les étapes d’une œuvre ». Le modèle Netflix place ainsi « les auteurs au cœur du dispositif » avec la volonté qu’ils accompagnent les projets de A à Z. « Si on croit au contenu local c’est parce qu’on pense qu’il y a des talents, des créateurs, des histoires à raconter qui n’ont pas toujours été racontées par les chaînes de télévision traditionnelles, le cinéma ou d’autres circuits. On pense qu’il y a en France, un vivier créatif, un potentiel parfois sous-exploité et nous voulons le mettre en lumière. A la fois en donnant plus de responsabilités aux auteurs confirmés avec un statut de créateur de série, et en faisant émerger de nouveaux talents. Dans notre contribution qui est hautement additive à l’offre de contenus et au tissu industriel français, un des éléments qui fait notre valeur ajoutée est cette capacité à responsabiliser les auteurs ».

Est-ce à dire que les auteurs peuvent contacter directement la plateforme (sans producteur) ? « On a la chance d’être un nouvel entrant, on n’est donc pas obligé de se plier à tous les usages », a répondu Damien Couvreur, ajoutant même que « la meilleure ligne est la ligne directe ». Ainsi, sur la quinzaine de séries lancées, un certain nombre  sont arrivées par leurs auteurs (parfois contactés par Netflix). Dans ce cas, Netflix s’associe alors rapidement avec un producteur pour le développement.

Un auteur a demandé si l’accompagnement des auteurs ne flirtait pas avec l’interventionnisme, voire avec la censure ? « Il n’y a aucune censure. On n’a pas d’interdits mais on fait attention aux sensibilités différentes. Par ailleurs, on a des convictions et on n’a pas peur de les partager mais on ne convainc pas un auteur d’écrire quelque chose auquel il ne croit pas. On essaye avant tout d’être des émulateurs créatifs pour que les scénarios soient de plus en plus aboutis."

Budgets et formats : pas de dogme mais une exigence de rapidité

Sur la question des budgets, Damien Couvreur a indiqué ne raisonner ni en enveloppe fermée, ni en objectif de projets à faire. « On a la chance d’être beaucoup plus libres que ça. A la différence des chaines de télévision traditionnelles, on n’a pas de grille de programmes, donc pas de coût de grille ». Il souligne que l’amplitude des budgets est grande, sans donner de fourchette plus précise.

Pas de dogme non plus sur les formats, Netflix n’ayant pas de contraintes de grille.

« Une saison c’est le nombre d’épisodes qu’il faut pour raconter une histoire. » Grande liberté est ainsi donnée sur le nombre d’épisodes comme sur la durée des épisodes. Netflix recherche surtout des séries avec un potentiel de récurrence sur plusieurs saisons, mais elle s’est aussi engagée sur deux projets de mini séries non encore annoncés.

Sur le calendrier, en revanche Netflix a des exigences et veut « faire les choses vite » : 18 mois en moyenne entre la signature et la mise en ligne. Mais le groupe s’en donne les moyens : « On rémunère l’intégralité du coût de la série et on fait des retours rapides, clairs et incrémentaux. Si on ne répond pas dans les cinq jours, ça me préoccupe », a indiqué Damien Couvreur.

Des contrats en droit français

Pascal Rogard a rapporté l’inquiétude de certains auteurs sur leurs contrats qui relèveraient plus du régime du copyright que du droit d’auteur et porteraient atteinte au droit moral.

Pour Damien Couvreur, c’est un mythe, et Netflix travaille dans le strict respect du droit français. « On pourrait produire en direct, travailler sous le régime du copyright ou avoir des contrats de droit anglo-saxon avec nos auteurs. Mais nous sommes là pour rester et nous intégrer de manière vertueuse dans l’écosystème. En respect le droit d’auteur, mais aussi le droit du travail pour les équipes de tournage ou les créateurs de série qui accompagnent la série au-delà de l’écriture et sont alors rémunérés en salaires ».

Selon lui, le modèle est même particulièrement vertueux car Netflix n’a pas d’étapes de développement, et commande d’emblée l’intégralité de l’écriture d’une première saison. «  Un producteur et un auteur qui signent avec nous ont immédiatement une visibilité d’environ 18 mois ». Par ailleurs, toutes les séries commandées en écriture ont été mises en production.

La décision se fait souvent sur la base d’un document de 5 à 10 pages, qui bien que court, doit être « très abouti avec la promesse d’un concept, de personnages et de récurrence ». Des indications visuelles sont également les bienvenues.

Face aux rumeurs qu’il faut un producteur installé avec les reins solides, Damien Couvreur a assuré au contraire que Netflix est équipée pour soutenir les jeunes producteurs et que la plateforme fait des avances de trésorerie à chaque étape.

Quant à « bloquer les talents sur plusieurs années», Damien Couvreur a expliqué que Netflix mettait naturellement en place un cadre contractuel avec les talents pour une éventuelle deuxième saison. La plateforme a aussi quelques accords cadre avec des créateurs, mais c’est plutôt exceptionnel ; c’est le cas en Europe avec Alex Pina, le créateur de La Casa de Papel.

Une équipe française décisionnaire

Soixante à quatre-vingts projets arrivent chaque mois pour une dizaine de séries lancées cette année. Qui lit ? Qui décide ? Tous les projets sont lus par Damien Couvreur et son équipe (trois personnes dont lui), qui ne fait pas appel à des lecteurs, comme c’est le cas dans les chaînes françaises. « On attend de nous qu’on ait des convictions, qu’on fasse des choix. On a des outils internes sur l’équation économique mais c’est notre équipe qui arbitre et qui lance les projets ».

Damien Couvreur réfère à Kelly Luegenbiehl, responsable des séries originales au bureau européen d’Amsterdam, mais reste décisionnaire pour les séries françaises. « Ce qui est intéressant dans cet écosystème européen, c’est de pouvoir échanger sur la typologie des projets qu’on reçoit, sur les idées qu’on peut faire avancer et d’avoir une effervescence créative qui dépasse les frontières nationales, mais on est responsabilisé et autonome. »

Béatrice de Mondenard

Les auteurs peuvent envoyer leurs projets aux responsables sectoriels suivants* :

  • Séries originales France : Damien Couvreur
  • Films originaux : Teresa Moneo
  • Enfants & Famille : Dominique Bazay
  • Acquisitions et coproductions France : Sara May
  • Documentaire France : Diego Bunuel
  • Flux : Lucy Leveugle 

 *les coordonnées ne nous ont pas été communiquées par Netflix