Audiovisuel 19 sep 2022

Arrêt de la fusion TF1-M6 : l'Autorité de la concurrence ignore l'intérêt du téléspectateur

Pour l'Autorité de la concurrence, le téléspectateur ne fait pas partie du marché des chaînes de télévision en clair.

Après 18 mois d’examen et d’analyse de leur projet de fusion des deux groupes, TF1 et M6 ont annoncé mettre un terme à l’opération face aux exigences exorbitantes de l’Autorité de la Concurrence.

Ayant toujours soutenu ce regroupement qui aurait permis la création d’un groupe audiovisuel privé puissant sur le marché de la télévision gratuite à même de renforcer ses capacités d’investissement dans la création audiovisuelle patrimoniale et cinématographique et de répondre aux nouvelles concurrences des géants mondiaux du numérique, la SACD regrette que cette fusion ne puisse voir le jour.

À l’heure d’une convergence indéniable de la publicité télévisée et digitale et d’un développement massif des plateformes en ligne, l’Autorité de la Concurrence a fait le choix d’examiner la fusion en regardant dans le rétroviseur et s’en remettre au confort de ses convictions passées.

Il est dommage que l’Autorité, sous la nouvelle présidence de Benoît Coeuré, n’ait pas eu la clairvoyance et le courage qu’elle avait su avoir en son temps sous la présidence de Bruno Lasserre en acceptant la fusion TPS-Canal+ qui aboutissait pourtant à la création d’un monopole de fait sur le marché de la télévision payante. À l’époque l’Autorité avait demandé des engagements certes importants mais qui ne remettaient pas en cause l’intérêt industriel de la fusion, considérant qu’elle était dans l’intérêt des consommateurs abonnés de la télévision payante.

Elle le regrette d’autant plus que l’Autorité n’a finalement jamais tenu compte de l’impact sur la diversité culturelle d’une telle reconfiguration du paysage audiovisuel ni de la spécificité du champ audiovisuel qui constitue une composante essentielle de l’ambition culturelle de notre pays.

Son analyse s’est bornée à examiner si l’opération n‘aurait pas d’impacts trop négatifs sur les résultats et bénéfices des opérateurs télécoms, des grands annonceurs, des multinationales de l’agroalimentaire ou de la cosmétique, et des acteurs mondiaux du numérique.

En revanche, le téléspectateur, qui est le client final, reste singulièrement absent des réflexions de l’Autorité qui a clairement failli dans sa mission de protection du consommateur. Dans les 400 pages du rapport qu’elle a rendu, l’Autorité ne semble pas avoir considéré les effets de cette fusion sur l’offre de programmes ni s’être inquiétée des risques pour le consommateur de ne plus pouvoir accéder gratuitement à des séries, des films, des retransmissions d’événements sportifs premium et, de in fine, devoir payer pour les voir. C’est pourtant un intérêt légitime dont il aurait fallu tenir compte dans le cadre de l’analyse d’une telle opération de fusion.  

Malheureusement, pour l’Autorité de la concurrence, le téléspectateur ne fait pas partie du marché des chaînes de télévision en clair. Il n’est tout simplement pas évoqué dans l’interview donné par Benoît Coeuré dans le journal Les Echos pour expliquer les raisons du refus de cette fusion par l’Autorité de la concurrence. C’est une erreur d’analyse économique majeure pour une telle institution qui n’a manifestement pas su se hisser à la hauteur de ses missions.
C’est également une faute politique et stratégique, l’Autorité de la concurrence semblant considérer que son rôle est de protéger les équilibres économiques entre de très grandes entreprises, annonceurs ou distributeurs, et les régies publicitaires des chaînes de télévision gratuite et non pas d’accroître la valeur du service offert par ces chaînes au consommateur final qu’est le téléspectateur.

Après la suppression de la redevance audiovisuelle qui a fragilisé cet été l’audiovisuel public et son financement, la fin de ce projet de fusion, due à une forme de cécité et aux erreurs d’analyse de l’Autorité de la Concurrence, est une nouvelle occasion manquée de consolider le paysage audiovisuel français pourtant indispensable aujourd’hui et encore plus demain.