Adam Price, la méthode danoise
Le créateur de Borgen était à la SACD le 19 avril dernier pour rencontrer des auteurs et évoquer son travail.
Présent à Paris pour montrer en compétition officielle à Séries Mania sa dernière création Ride Upon the Storm, Adam Price a fait un crochet par la rue Ballu, à l'invitation de la SACD, pour répondre aux questions de nombreux auteurs présents. Conscient de sa position privilégiée d’auteur à succès dans son pays, le scénariste danois a détaillé, à l'invitation des coprésidents de la commission Télévision de la SACD Marie-Pierre Thomas et Laurent Levy, le processus de fabrication de ses séries au sein de la chaîne de télévision publique DR. Un récit quasi-idyllique de la part d'un auteur au discours aussi positif que celui développé dans Borgen, la création qui l'a fait connaître sur la scène internationale.
Idéaliste Borgen
Adam Price est largement revenu sur cette série en trois saisons (2010-2013) diffusée en France sur Arte, qui met en scène l’arrivée au pouvoir de la première femme Premier ministre (fictive) du Danemark. L’idée, confirme son créateur, était bien d’aborder l’engagement politique sous un angle moins négatif qu’habituellement : « Au Danemark, la fiction a toujours abordé le sujet avec cynisme. Il y a 10 ans, le film King’s Game a été un énorme succès et a largement conforté cette vision du politicien en figure maléfique dont la presse devait révéler le vrai visage, à la manière des Hommes du Président. Or quand j’ai fait des recherches pour Borgen, il y avait certes des gens blasés parmi les professionnels de la politique que j’ai rencontrés, mais aussi des gens qui croient dans ce qu’ils font. » Accessoirement, Adam Price en était à un stade de sa carrière où après avoir travaillé longtemps sur les projets des autres et enfin à la tête de sa propre série, il avait envie de faire transpirer à l’écran un peu de son propre enthousiasme et de sa propre passion à exercer son métier.
Borgen a d’abord été pensé sur deux saisons de 10 épisodes, DR lui ayant passé - comme c’est l’habitude de la chaîne - commande de 20 épisodes. Il a écrit ces 20 épisodes assisté seulement de deux autres auteurs, Jeppe Gjervig Gram et Tobias Lindholm (tous trois reçurent le Prix européen de la SACD en 2013). Faute de moyens, les salles d’écriture ne peuvent se permettre d’être guère plus étoffées au Danemark. En saison 3, on accorda un co-scénariste de plus à Adam Price, pas davantage. La bonne nouvelle, estime Price, c’est que de ces salles d’écriture ramassées, sortent en général des professionnels aguerris. « Après vingt épisodes, même le plus inexpérimenté des scénaristes a acquis une maîtrise supérieure de son métier. » Et effectivement, ses anciens partenaires de Borgen, mènent aujourd’hui de solides carrières de leur côté : Jeppe Gjervig Gram est le showrunner de sa propre série, Follow the Money, et Tobias Lindholm est un auteur de cinéma très en vue (il a écrit et réalisé Hijacking et co-écrit avec Thomas Vinterberg La Chasse et La Communauté).
Cadence d'écriture calibrée
Pour ce qui est de l’écriture proprement dite, Adam Price se réfère à un calendrier bien rodé. Lorsque la série lui est commandée, Adam Price a une idée de ce que sera l’arc narratif de la première saison : « Sur Borgen, je savais que le 10e épisode devrait être un tournant et j’avais une vague idée de ce qu’allait être la fin supposée de la série avec le 20e épisode. » Il passe ensuite 2 semaines en salle d’écriture à peaufiner l’intrigue générale de la saison avec ses co-auteurs. S’ensuit l’écriture de chaque épisode, sur un rythme cadencé, sachant que deux épisodes sont produits en même temps :
- pendant un mois, les intrigues de deux épisodes sont développées en commun en salle d’écriture
- les co-auteurs d’Adam Price sont alors chacun chargés d’écrire de leur côté le traitement d’un épisode en une semaine
- les co-auteurs reçoivent des retours sur leur traitement, qui compte désormais 20 à 30 pages et est donc extrêmement détaillé sachant que le scénario final d’un épisode comptera, lui, environ soixante pages (soit une page par minute)
- les co-auteurs passent 3 semaines à écrire la première version du scénario
- ils reçoivent des retours et repartent pendant deux semaines écrire la deuxième version
- pour les co-auteurs, le travail sur leur épisode s’achève et ils passent au suivant
- Adam Price prend alors le relais et écrit lui-même les versions suivantes du scénario
- des retours lui sont transmis par les comédiens et réalisateurs après les premières lectures organisées à la 2e ou 3e version et sur les notes que lui transmet son équipe de production (du type « impossible d’avoir un bus pour telle scène »)
- à la 5e ou 6 e version, une lecture très importante réunit toute l’équipe et est chronométrée
- Adam Price écrit la dernière version du scénario, celle qui sera utilisée sur le tournage, en espérant ne plus avoir à faire de révisions.
En tout, 3 mois sont nécessaires pour écrire chaque épisode. « C’est le temps que cela prend pour une production affichant des ambitions artistiques. »
Réalisateurs laissés libres
Vient ensuite le temps du tournage. L’occasion pour Adam Price d’évoquer ses relations avec les réalisateurs de ses séries. « La collaboration avec eux est toujours excellente. Je sais qu’aux Etats-Unis, à la télévision, la position du scénariste est supérieure et qu’il peut interférer dans les choix des réalisateurs. Je ne me le permettrais pas. Je ne me rends pas sur le plateau. Nous essayons de résoudre tous les problèmes de script avant que le tournage commence. Les réalisateurs sont libres de donner leur interprétation du script. Ils tournent toutes les répliques pour que nous les ayons mais sont encouragés à faire des prises alternatives. C’est sans doute très danois, mais c’est la meilleure idée qui doit primer. »
Diffuseur peu interventionniste
Les représentants du diffuseur, DR, interviennent très peu au cours de la production. « Quand ils se sont engagés sur une série, ils ne vous demanderont jamais de renoncer à l’idée originale qu’ils ont achetée. Ils vous transmettent des notes, mais il s’agit en général de remarques techniques. » Une fois en confiance avec un auteur, DR tend à lui laisser les coudées vraiment franches. « S’ils croient en vous, ils peuvent vous passer commande d’une série sans même que vous leur présentiez le minimum de deux scénarios d’épisodes et l’intrigue principale de la saison 1. » Pour Ride Upon the Storm, il confie avoir été exempté de la traditionnelle séance de pitch d’une heure avec les cadres de la chaîne. « J’étais en train d’écrire la saison 3 de Borgen et ils m’ont demandé ce que j’aurai à leur proposer comme nouvelle série. J’ai répondu : une série qui aborderait la religion. Ils ont dit OK. » Tout simplement. A la danoise.