2017 : un nouveau souffle pour la politique du spectacle vivant ?
A l’occasion du Festival d’Avignon, la SACD a réuni des professionnels, des auteurs et autrices, ainsi que des élus pour en débattre.
Comme l’a souligné Pascal Rogard, directeur général de la SACD et animateur de ce débat, la période est marquée par de forts changements avec l’installation d’un nouveau gouvernement. De quoi susciter des attentes précises des auteurs ?
Pour Corinne Klomp, autrice et première vice-présidente de la SACD, les désirs des auteurs sont à la fois simples et essentiels. Pour elle, deux axes importants se dégagent : en premier lieu, le désir d’un auteur est avant tout d’être joué. Il faut donc créer de bonnes conditions pour accueillir les projets quand ils sont déposés par un auteur. Aujourd'hui, ce n’est pas toujours le cas. Il peut notamment être plus difficile pour certains auteurs, qui ne sont pas dans une compagnie ou qui ne sont pas non plus metteurs en scène, de pouvoir faire lire leurs projets aux décideurs. En second lieu, Corinne Klomp a appelé à des efforts pour davantage de diversité et d’ouverture. Selon elle, ce mouvement doit passer par un renforcement de l’égalité entre les femmes et les hommes. A cet égard, elle a cité la tribune de David Bobée et d’autres directeurs et directrices de CDN parue dans Le Monde la 13 juillet détaillant leurs engagements en termes de parité dans la programmation de leurs lieux et les moyens de production. La diversité doit aussi être mieux prise en compte : « Il faut programmer des auteurs qui sont de conditions sociales différentes, qui ne sont pas monocolores. » Enfin, le monde du spectacle vivant doit être celui de l’ouverture et du rejet de toutes les distinctions et barrières qui ont pu se construire au fil des ans. C’est le cas notamment de ces frontières entre théâtre public et privé qui rendent très difficiles de pouvoir évoluer dans ces deux univers.
Lire la tribune publiée dans Le Monde (article réservé aux abonnés du quotidien)
Remettre les artistes au cœur des maisons de culture
Également autrice, Carole Thibaut est par ailleurs directrice du Centre Dramatique National de Montluçon. Connue pour son engagement en faveur de l’égalité femmes/hommes, elle a défendu dans ce débat la nécessité de recourir désormais aux quotas pour améliorer la place des femmes, à la direction comme dans la programmation des lieux, mais aussi pour assurer aux auteurs contemporains une place renforcée dans les programmations. Elle a aussi émis une autre idée, soutenue par Pascal Rogard, pour favoriser la présence de candidatures féminines à la direction des établissements culturels : déclarer les appels d’offres infructueux s’il n’y a pas de femmes dans la « short list ».
Concernant l’education artistique et culturelle, elle a insisté sur l’importance de remettre les artistes au cœur des maisons de culture, de susciter des binômes enseignant et artiste et aussi de redonner des moyens aux associations éducatives. En revanche, les artistes ne doivent pas être des prestataires de services culturels et sociaux. « Ils ne doivent pas être là que pour apporter une bonne parole culturelle. »
Réagissant aux vives discussions qui ont eu lieu à Avignon sur la séparation entre théâtre public et privé, elle a souhaité faire une distinction : d’une part, selon elle, la circulation symbolique des artistes entre public et privé doit être assurée ; en revanche, la porosité économique entre le public et le privé serait une aberration car le public est porteur de missions de service public qui impliquent des prises de risque et des engagements spécifiques que n’ont pas les privés.
Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique au ministère de la Culture, a voulu lever les craintes qui pouvaient exister et préciser que le rapport qui avait été confié à René Bonnell sur le fonctionnement du fonds de soutien de l’association pour le soutien du théâtre privé ne prévoit pas en tant que tel de transfert économique pur entre public et privé puisque le fonds proposé par l’auteur de ce rapport pourrait revenir aussi vers le public ou servir à des coopérations entre public et privé. Mais, à ce stade, Régine Hatchondo a confirmé que ce rapport était encore en cours d’expertise et d’analyse par les services du ministère.
Le ministère travaille également à l’élaboration du prochain budget pour 2018 et va discuter dans les prochaines semaines avec Bercy. Pour 2017, le ministère va contribuer à l’effort financier demandé à l’ensemble des ministère pour un montant de 50 millions d’euros, un montant qui, selon Régine Hatchondo, « ne va pas impacter la DGCA, le gouvernement n’ayant pas voulu fragiliser les crédits dédiés à la création ».
La feuille de route de la ministre est également en voie de construction, 2 mois seulement après son arrivée. L’éducation artistique et culturelle et l’accès à la culture pour tous y auront un rôle central. Dans ce cadre, le ministère souhaite se doter d’outils pour mieux connaître tout ce qui se fait sur le territoire depuis près de 30 ans.
Parmi les autres enjeux majeurs identifiés par le ministère, figure le chantier de la simplification administrative. La trop grande complexité des dossiers et la brièveté des appels à projet sont aujourd'hui de nature à pénaliser les plus petites structures. Une réflexion sur des conventions s’étalant sur plusieurs années peut être envisagée.
L’égalité entre les femmes et les hommes fait aussi partie des priorités de Régine Hatchondo. La parité dans les comités d’experts mais aussi dans les jurys en charge des nominations doit selon elle être encouragée. Sur la progression des œuvres de femmes dans les programmations, elle a indiqué que des aménagements pourraient le cas échéant être envisagés. En revanche, la politique de quotas lui semble aller à l’encontre de la liberté de programmation.
Enfin, elle a fait part de sa volonté d’améliorer les capacités d’observation du spectacle vivant pour notamment mieux connaître la fréquentation artistique et l’économie générale de ce secteur. Ce processus devrait se matérialiser début 2019 pour tenir compte des délais en termes de marchés publics et de l’équipement nécessaire des salles.
Ouvrir les "fenêtres de l'inconnu" pour les jeunes
Il y a 2 ans, Olivier Bianchi, président de Clermont-Auvergne Métropole et Co-president de la Commission Culture de France Urbaine, avait participé à un débat similaire à Avignon. Pour lui, le contexte a changé : « En 2015, nous étions en pleine crise, il y avait une focalisation sur les enjeux économiques du développement de la culture. » Désormais, l’attractivité et le rayonnement des territoires ne sont plus l’alpha et l’omega des politiques culturelles. La question centrale est aussi celle de l’enfance et de la jeunesse, du vivre-ensemble : « Pour que les politiques soient légitimes, il faut qu’elles aient du sens pour la société. La culture, c’est ce ferment indispensable qui apporte du sens et des valeurs républicaines. » C’est une perception qu’il sent d’ailleurs partagée par nombre de collectivités locales qui n’ont globalement pas revu à la baisse leurs engagements à l’égard de la culture.
Répondant à une question de Pascal Rogard sur son avis relatif au pass-culture, ce chèque de 500 € proposé par Emmanuel Macron durant sa campagne et qui serait remis aux jeunes de 18 ans, Olivier Bianchi s’est montré plutôt dubitatif : « Si c’est seulement un chèque cadeau pour acheter ce qu’on veut à la FNAC, ce n’est pas une politique culturelle ; mais, cela peut être un outil de médiation utile si une partie est fléchée par exemple vers la littérature contemporaine ou la découverte du patrimoine. Là, cela prend son sens. » Cet avis était aussi partagé par Sylvie Robert, sénatrice présente dans la salle, qui l'a aussi jugé utile s’il permettait d’ouvrir « les fenêtres de l’inconnu pour les jeunes ».
Dans les territoires, les festivals jouent un rôle central, le festival OFF tout particulièrement. Son président, Pierre Beffeyte, a souligné à cet égard le travail important qui a été réalisé cette année pour réfléchir et mieux connaître les publics, en particulier le public non abonné et les jeunes. L’enjeu était notamment de mieux mettre en avant ce qu’était le Festival et la diversité de propositions qui s’y exprime.
Le travail du nouveau conseil d’administration du Festival a aussi porté sur la situation et le salaire des artistes, la majorité étant sous-payée.
Deux axes de réflexion ont été engagées : comment trouver les moyens pour aider les spectacles de création ? Comment mutualiser certaines dépenses pour les compagnies ?
Ces réflexions ont débouché par exemple sur des réductions très importantes pour l’impression des affiches en les mutualisant mais aussi par la mise en place d’un fonds de professionnalisation doté de 200 000€. Cela a notamment permis d’aider 96 projets à hauteur de 1000€ par artiste.
Jérôme Chrétien, directeur du Conservatoire du Grand Avignon, a insisté pour sa part sur son souhait de renforcer les liens avec le Festival et sur l’importance de l’intervention musicale en milieu scolaire. Précédemment en poste à Lille, l’expérience qu’il y a connu avec le lancement d’un plan de recrutement de 31 musiciens intervenants, les Dumistes, a été une réussite. Il estime que ce genre d’initiative peut être une démarche clé si l’on souhaite renforcer l’éducation artistique et culturelle. Réagissant à ces propos, Régine Hatchondo a confirmé tout l’intérêt qu’elle porte à ce processus qualifiant en matière musicale et s’est interrogée, en guise de conclusion, sur l’opportunité de réfléchir à des dispositifs analogues en matière de danse et de théâtre.