Création web 02 jan 2020

Justine Ryst : «YouTube continue d’évoluer en permanence»

La directrice générale de YouTube France était à la SACD le 20 novembre pour rencontrer les auteurs. Echanges riches et animés autour de l’avenir de la fiction sur YouTube avec une assemblée très jeune et très masculine.

 

Justine Ryst a démarré sa carrière à EndemolShine, où elle a piloté les activités digitales et la diversification. Elle a ensuite rejoint Twitter en 2013 comme directrice du développement , puis YouTube France en 2017, d’abord comme directrice des partenariats puis comme directrice générale.

Une empreinte française

Justine Ryst a démarré sa présentation par un triple constat positif. Premièrement, il existe, selon elle, « une sorte d’exception culturelle française » et « les chaînes françaises les plus vues ou avec la plus forte croissance s’illustrent dans le documentaire, la fiction, l’animation ou le court-métrage, alors que les champions allemands sont plutôt des gamers ou des vlogueurs ». Deuxièmement, les YouTubeurs français sont en pleine professionnalisation. « YouTubeur en 2019 est un vrai métier », a-t-elle lancé, ajoutant que beaucoup créaient leur société de production, dans une logique pérenne. Enfin, Justine Ryst s’est félicitée de voir « les vidéastes français étendre leur art au-delà de la plateforme, à la télévision, à la radio et au cinéma ».  YouTube est une plateforme internationale mais s’appuie dans chaque pays où elle est présente sur des partenariats locaux. « Depuis que YouTube est disponible en France, la première chose qu’on a fait, c’est s’ancrer dans le paysage, en signant des accords avec la SACD, en 2010. Ensuite on a créé le YouTube Space, un espace de formation et d’accompagnement à disposition gratuite  des créateurs avec des studios d’enregistrement et du matériel de production. Depuis sa création en 2013, le YouTube Space de Paris a reçu 20 000 talents ». 

Fort de son succès, le YouTube Space est actuellement en travaux d’expansion. Mais grâce à un partenariat avec la SACD, les YouTubeurs sont accueillis à la Maison des auteurs de la SACD, où avec le support de YouTube, deux studios d’enregistrement ont ouvert en septembre 2018 : le YouTube Space Paris @SACD et le Studio SACD. Après les travaux, le YouTube Space Paris reprendra ses quartiers au 8 rue de Londres et le Studio SACD fonctionnera de manière indépendante.

Deux chantiers : la pédagogie et les femmes

Justine Ryst a ensuite évoqué les deux chantiers à l’œuvre chez YouTube France. Le premier c’est « l’éducation et l’accompagnement des créateurs pour une meilleure compréhension de la plateforme, notamment les règles de monétisation, qui évoluent très vite ». Au festival de vidéastes Frames à Avignon, YouTube a ainsi organisé une série d’ateliers sur la monétisation et sur l’algorithme. Selon Justine Ryst, « ces séances ont été très appréciées car elles étaient menées par des équipes françaises avec des exemples illustrés ». YouTube entend renouveler ce type d’ateliers avec la Guilde des vidéastes, et avec la SACD, avec qui elle a aussi organisé des ateliers sur les autres sources de financement comme le fonds CNC Talent.

Deuxième chantier : les femmes. « On s’aperçoit qu’il y a un peu un plafond de verre : les femmes n’arrivent pas à se développer autant que les hommes ou restent sur des verticales assez restreintes comme la beauté ». YouTube a ainsi lancé, voici 3 ans, le programme « Elles font YouTube » : mentorat, fonds dédié, résidences de création.  Au total ce sont plus de mille créatrices qui ont été accompagnées depuis le début de l’initiative. Justine Ryst voudrait toutefois passer la vitesse supérieure en s’associant avec le CNC et les MCN (multi-channel network) pour avoir un levier plus important. Camille Ghanassia, réalisatrice et productrice, a fait remarquer que ce fonds ne permet malheureusement pas d’associer d’autres aides comme celles de CNC Talent ou des régions. Justine Ryst a pris note de ce retour.

Les règles de monétisation

Pascal Rogard a souligné que certains auteurs se plaignaient de démonétisation, en prenant l’exemple d’une vidéo d’Aude Gogny-Goubert sur Simone Veil. Justine Ryst connaissait l’exemple et a indiqué que Aude avait contacté la plateforme* pour souligner le problème et que la vidéo avait pu être remonétisée. Dans le mécanisme de monétisation de YouTube, les annonceurs définissent les typologies de contenus auxquels ils souhaitent voir leurs campagnes publicitaires s’associer. Ce sont ensuite des machines qui travaillent à repérer les contenus en non conformité. De cette manière sont repérés 99% des contenus non conformes, la plupart avant qu’ils aient fait une seule vue. Pour le résidu de contenus sur lesquels il y a des cas d’appel, ce sont alors les modérateurs humains qui prennent la main.  Depuis un an, YouTube publie sur son site un rapport de transparence, qui indique chaque trimestre le nombre de vidéos, chaînes ou commentaires supprimés, avec une typologie des motifs de suppression (spam ou escroquerie, contenu violent, nudité ou contenu à caractère sexuel…). 

Par ailleurs, des modérateurs humains sont là pour les vidéos ou commentaires qui passent dans  les mailles du filet ; chez Google 10 000 personnes travaillent sur des métiers liés à la modération.

Quels financements pour les YouTubeurs ?

Le business model de YouTube est un modèle gratuit financé par la publicité avec la majorité de revenus au bénéfice du créateur, la plateforme s’affranchissant de ses obligations auprès du CNC ou des sociétés d’auteur, sur sa quote-part. Depuis 2017, et par la mise en place de la  « la taxe plateformes » où YouTube contribue, le CNC a créé un fonds pour aider les créateurs vidéo sur Internet (CNC Talent). A ce propos, Pascal Rogard a souligné que le fonds devrait être significativement accru car la contribution des diffuseurs dans la loi de finances pour 2020 va baisser et celle des plateformes augmenter. En l'occurrence celle de YouTube va doubler. « C’est un enjeu important : il faut s’assurer que cet argent aille bien financer les YouTubeurs et non les salles de cinéma. Il faut bien comprendre que ce que va payer YouTube au CNC est déduit des assiettes de répartition, dont les droits d‘auteur. Et si le produit de cette taxe ne revient pas aux YouTubeurs, se sera une perte, un impôt, alors que cela doit être un système redistributif. »

Au-delà des aides que peuvent solliciter les auteurs, YouTube entend faciliter et encourager les collaborations avec les chaînes de télévision et producteurs d’une part, et les annonceurs d’autre part. « Les YouTubeurs sont de formidables prescripteurs avec des communautés hyper engagées et on souhaite que les diffuseurs comprennent bien cette complémentarité, ce qui n’est pas encore complètement le cas. Quant aux annonceurs, ils ont envie de travailler avec des YouTubeurs, mais le pont ne se fait pas forcément et on réfléchit à créer des opportunités de collaboration en fonction des lignes éditoriales de chacun. »

En revanche, YouTube n’entend pas financer les fictions. Et Justine Ryst est revenue sur l’expérience YouTube Originals, lancée parallèlement à YouTube Premium, abonnement payant sans publicité.  A l’origine, les productions YouTube Originals initiées par des créateurs et financées par YouTube rentraient dans l’offre d’abonnement mais YouTube a finalement décidé que ces formats seraient accessibles à tous. «  Ces formats ont eu un très beau succès mais le cycle de production d’une fiction est  très long et très couteux à produire, et nous ne sommes ni Netflix, ni Amazon. Notre cœur de métier c’est la VOD accessible gratuitement, financée par la publicité. »

La mise en valeur de la fiction

Au fil de la rencontre, plusieurs YouTubeurs ont évoqué un même problème : le manque de mise en valeur (et du même coup de monétisation) des vidéos de qualité, et notamment de la fiction rare et irrégulièrement postée.

Mike Zonnenberg (Chronik Fiction) a souligné que le fonds CNC Talent avait permis un saut qualitatif mais que le grand public ne le savait pas. Il a cité l’exemple du Grand prix Frames (la série TAC), qui n’a généré que 2000 vues. Afin de mettre en avant ces fictions de qualité, il a suggéré deux pistes : un festival YouTube et un onglet Créateurs pour les projets « quali ». Pour Emilien Paron, cet onglet Créateurs doit être éditorialisé et géré par des humains, afin d’être complémentaire de l’onglet « Tendances », géré par l’algorithme. Akim Omiri a souligné un autre problème : la faiblesse des notifications en proportion des abonnements. Ainsi sur ses 600 000 abonnés, seuls 19 000 ont été notifiés pour son nouveau court métrage, qui est le fruit de plusieurs mois de travail. Un YouTubeur est intervenu pour préciser que : « Ce qui compte, c’est le watchtime et la régularité. Aujourd’hui, beaucoup de créateurs avec un talent de dingue, sont dans une grande précarité et font ce qui marche : du contenu long, qui coute pas cher et qui est facile à produire. » La salle a acquiescé citant la vidéo du Bazar du grenier, YouTube m’ennuie, comme expliquant bien la problématique.

A l’écoute des critiques et suggestions, Justine Ryst a indiqué qu’elle était consciente des problèmes, tout comme le sont Susan Wojcicki, PDG de YouTube et Robert Kyncl, responsable des relations avec les annonceurs et les producteurs de contenus. Elle a répondu à chacun, tour à tour, et réaffirmé que YouTube n’était pas un média et n’avait pas vocation à éditorialiser  les contenus. « Rappelez-vous : nous ne sommes pas la télévision et les utilisateurs ont aujourd’hui sur YouTube beaucoup plus de choix qu’il y a 10 ans. Aux créateurs de trouver leur audience ! » Et de souligner que beaucoup de créateurs de contenus très qualitatifs parviennent à se faire découvrir. Elle a souligné que l’onglet « Tendances » est toujours en évolution et prend en compte les accélérations de vues, les likes/dislikes, les commentaires… Apparaître dans l’onglet « Tendances »  dépend donc de l’activité plus générale sur la plateforme ce jour-là. L’onglet permet aussi de mettre en lumière les nouveaux talents. A propos des abonnés, elle a aussi expliqué que YouTube ne pouvait notifier chaque abonné pour chaque vidéo (beaucoup d’internautes ont des dizaines, voire des centaines d’abonnements) et que le système prenait en compte l’usage de l’utilisateur dans son ensemble, par rapport à ses habitudes de consommation, pour que l’expérience utilisateur reste la plus fluide possible.

Elle a pris bonne note des différentes suggestions : une notification systématique pour les chaînes qui postent peu ou de manière irrégulière, une notification par jour pour l’ensemble des abonnements plutôt qu’une notification par vidéo, la possibilité de faire des listes comme sur Twitter au sein de ses abonnements – soit par exemple une liste Fiction. Elle a indiqué que YouTube a mis en place des interactions entre les vidéastes et les ingénieurs du siège, à San Bruno, tout changement devant être fait à l’échelle mondiale. Et que ces échanges continuent l’an prochain.

Quant au festival YouTube, elle « adore l’idée » et souhaite y réfléchir pour le faire « avec la bonne exécution, pour et avec les talents ».

Selon elle, « la plateforme est à un moment pivot ; YouTube va fêter ses 15 ans cette année ; avec 2 milliards d’utilisateurs dans le monde chaque mois, 41 millions en France, des centaines de milliers de chaines de créateurs disponibles, chaque talent doit pouvoir trouver sa communauté. La plateforme évolue en permanence pour trouver le bon équilibre entre confiance des annonceurs, développement des créateurs et fidélité des utilisateurs ».  En réponse à certains vidéastes qui s’interrogeaient sur la volonté réelle de YouTube d’accueillir des web-séries ou des courts métrages, qui font de moins en moins de vues, elle a clairement affirmé : « Ces contenus sont la marque de fabrique des créateurs en France ! Ils sont essentiels et beaucoup rencontrent un grand succès. »

Béatrice de Mondenard

* pour effectuer une réclamation :  support@YouTube.com